« Le taxi a un avenir »
Après un premier entretien à l’assemblée nationale que nous vous avions relaté dans Taxi News de juillet 2014, voici un second entretien avec l’ancien député Thomas Thévenoud qui nous a rendu visite pour présenter son livre Taxi(s) et nous avons saisi l’occasion pour parler de son livre mais aussi du taxi tel qu’il le voit aujourd’hui.
Alexandre Sejdinov : Pourquoi avoir écrit un livre sur les taxis ?
Thomas Thévenoud : Parce que les taxis ont changé ma vie. Je l’explique dans l’introduction, quand Jean-Marc Ayrault m’appelle pour me dire, on a pensé à toi pour les taxis, je suis étonné parce que je ne connaissais rien aux taxis. Et le premier ministre me dit : toi les taxis ne votent pas pour toi, et on veut quelqu’un d’extérieur aux taxis. Ca a changé ma vie, parce que cette mission a été pour moi un accélérateur de carrière, c’est ce qui a fait que j’ai été appelé au gouvernement par la suite. Et aujourd’hui à chaque fois que je prends un taxi, je suis reconnu par les chauffeurs.
Et dans mon livre, je raconte un événement réel qui m’est arrivé avec un chauffeur de taxi sikh qui portait son turban traditionnel. Je monte place de la bourse à Paris et le mec m’amène chez-moi vers Jussieu et le mec commence à faire un sketch, il conduit et en même temps il commente Paris mais avec une tchatche incroyable et je me marre et je lui dis voilà je fais un livre sur les taxis et je voudrais faire votre portrait dans mon livre parce que je trouve que vous avez un talent fou.
Et le gars me dit mais non c’est des conneries tout ça, vous ne faites pas un livre sur les taxis, mais si je lui réponds, cela fait dix huit mois que je le prépare. Donnez-moi vos coordonnées pour qu’on puisse se revoir et là, il me dit mais vous vous appelez comment, je lui dis Thévenoud et là il me regarde et dit Thévenoud ? mais vous êtes en relation avec la loi taxi, vous êtes celui qu’on a viré, ce n’est pas vous quand-même. Mais si c’est moi… et là il a eu comme un changement dans son visage, alors que durant le trajet il me tutoyait il a commencé à me vouvoyer, je vous laisse découvrir la suite dans le livre…
Les taxis devraient être fiers de faire ce métier
J’ai aussi voulu écrire ce livre pour rééquilibrer les choses pour dire la vérité sur les taxis et casser cette mauvaise image que les journaux véhiculent parfois. Les taxis devraient être fiers de faire ce métier et ont droit à la reconnaissance. C’est un bouquin d’hommages et sans aller vers une déclaration d’amour, il y a de l’affectif en direction des taxis de ma part. Et à chaque fois c’est un échange intéressant quand je discute avec un taxi, même lorsque je suis critiqué.
A.S. : Mais malgré les critiques vous continuez à préférer les taxis aux vtc ?
T.T. : Je n’ai jamais pris de vtc et ça ne risque pas d’arriver. Sauf une fois durant mes consultations en 2014 pour savoir ce que c’était. Mais ce que j’aime dans cette relation avec les taxis c’est qu’ils ne me parlent pas seulement du boulot mais aussi d’autres sujets y compris sur Paris et sur Hidalgo, la maire de Paris qu’ils critiquent…
A.S. : C’est vrai qu’une majorité des taxis ne l’aiment pas alors qu’elle a dit publiquement être attachée aux taxis.
T.T. : Oui, et ça va peut-être vous surprendre, tout ce qu’elle fait ou tout ce que fera celui ou celle qui va lui succéder va apporter du positif pour les taxis. Parce que la place de la voiture particulière à Paris va complétement changer. Plus on incitera les parisiens à ne pas posséder une voiture plus ça profitera aux taxis. Moi je pense que le taxi est une alternative à la voiture individuelle et je le pense depuis très longtemps. J’ai vendu ma voiture, parce que ça n’a pas de sens à Paris, j’utilise les taxis, les transports en commun ou je marche, il y a une autre façon de vivre la ville. C’est pour ça que le taxi a un avenir.
A.S. : Il y a quatre ans lors de notre entretien vous aviez dit le taxi a de l’avenir et quatre ans après vous y croyez encore ?
T.T. : J’y crois d’autant plus que les chiffres de 2018 ne sont pas mauvais.
A.S. : Oui en terme de chiffre d’affaires il y a une amélioration, mais la raison principale c’est que la loi Grandguillaume a empêché les loti de pratiquer le vtc depuis le 1er janvier 2018.
Le prix de la licence va t-elle remonter ?
T.T. : Oui mais pas seulement. Quand Grandguillaume est arrivé c’est comme la deuxième lame Gillette qui arrive après la première, première lame Thévenoud et deuxième lame Grandguillaume. Il a interdit les loti et c’est très bien. Mais il y a eu les formations et l’image de marque d’Uber qui se casse la gueule, et aussi le fait que les taxis se sont modernisés. Même si les taxis ont râlé pour l’utilisation de la carte bleue ou les forfaits aéroport, cela a eu un effet positif pour l’image du taxi.
A.S. : Oui mais pendant ce temps le prix de la licence a chuté.
T.T. : Oui mais la licence va remonter, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer.
A.S. : Avec le recul il n’aurait pas été plus simple d’interdire les vtc en abrogeant la loi de 2009 qui a introduit les vtc ?
T.T. : Non, d’abord ce n’est pas ce qui m’avait été demandé par le premier ministre de l’époque et ensuite j’estime que la concurrence a fait du bien aux taxis, elle les a obligés à se remettre en question et à se moderniser. Je suis de gauche mais ouvert au marché et à la concurrence à conditions que les vtc respectent les règles, ce qui n’est pas encore le cas pour un certain nombre et à condition que les taxis aient des privilèges liés à leur plaque, leur licence. Et le privilège fondamental du taxi c’est d’occuper le domaine public et les voies réservées, les voies de bus, et c’est ça la contrepartie du prix de la licence. Et dans une métropole engorgée où la voiture particulière va diminuer avoir ce privilège des voies réservé ça a du sens. Se déplacer plus vite qu’un vtc à Paris, c’est un avantage essentiel.
A.S. : Oui vous avez raison sauf si les pouvoirs publics autorisent aussi les vtc, à l’instar de Valérie Pécresse, qui propose que la voie sur l’autoroute A3, reliant Paris à l’aéroport CDG soit aussi autorisé aux vtc.
T.T. : Ca n’a pas de sens, la différence entre taxi et vtc est justement que le taxi a ce privilège parce qu’il achète une licence alors que le vtc n’achète rien. Le taxi a le droit de charger et de stationner sur la voie publique et pas le vtc. La logique est simple : Les taxis payent pour occuper le domaine public, donc les voies réservées aux aéroports sont réservés aux bus et aux taxis. C’est absurde du point de vue de Pécresse de défendre une règle différente à l’extérieur de Paris et une autre qui existe à Paris intramuros, d’autant plus que le Grand Paris sera bientôt une réalité. Tous les pays qui ont tenté de supprimer les licences de taxi ont eu des problèmes anarchiques d’occupation du domaine public et sont revenus au système précédent.
A.S. : L’anarchie c’est ce qui se passe tous les jours aux aéroports.
T.T. : Oui vous avez raison, parce qu’il n’y a pas assez de forces de l’ordre pour empêcher cette anarchie. Mais je pense que la situation finira par s’améliorer.
A.S. : Que pensez-vous de la proposition de certains chauffeurs de taxi de fixer le prix de la licence à 180 000€ pour qu’elle cesse de faire des yoyos et que la préfecture garantisse ce prix en n’acceptant pas les transferts à un prix inférieur ?
T.T. : Fixer le prix de la licence me semble compliqué, parce que ça pose le problème de la liberté du commerce, parce que c’est une vente et un marché. Parce que si vous faites ça, vous risquez de vous retrouver dans une situation de blocage. Je m’explique, si le vendeur ne trouve aucun acheteur à ce prix, que ce passe-t-il ? Il n’y a pas de vente, et comment va faire le vendeur s’il doit partir à la retraite ?
A.S. : Il est vrai que si le gouvernement n’intervient pas pour racheter la licence dans ce cas précis, il y aura un blocage et l’arrêt des transferts.
T.T. : Le gouvernement a de grandes difficultés budgétaires et je ne pense pas qu’il puisse le faire. Il ne peut se permettre d’ajouter une dette de plus à un endettement déjà lourd.
A.S. : Est-ce que les taxis, maintenant que vous n’êtes plus député, vous demandent d’être en quelque sorte leur porte parole ou de défendre leur cause ?
T.T. : Oui, beaucoup de taxis me le demandent parce qu’ils savent que je connais le dossier. Mais, le livre que j’ai écris, est un moyen de les défendre. Dans ce livre je décris tout ce qui permet aux taxis d’être fiers de leur métier. Le taxi a une histoire très longue et qui raconte aussi, en quelque sorte, l’histoire de France. Les fils et filles de chauffeurs de taxi peuvent être fiers du métier que leur père ou mère exerce ou a exercé. Le taxi a sa noblesse et sa grandeur.
A.S. : (Oui comme je suis fier d’avoir exercé cette profession durant onze ans), mais vous ne pensez pas que les taxis sont attaqués de toutes parts ?
T.T. : Oui c’était vrai au début, avec l’arrivée des vtc, qui au début offraient un service haut de gamme, mais aujourd’hui ce n’est plus le cas, les rôles ce sont inversés, les chiffres le montrent, le taxi repart et les vtc chutent. Et même le lobby des plateformes de vtc n’arrive plus à changer l’image du vtc auprès des média et des clients.
Il est important que les taxis cessent de se croire les victimes du système pour mettre en valeur leurs atouts. Mon livre est fait dans ce but. Je parle bien sur des syndicats et d’André Rousselet et de la G7, mais aussi d’anecdotes qui se sont passé dans l’histoire. Tout ce que je raconte dans ce livre est vrai. Premier chapitre je parle des fiacres et de l’amour dans les fiacres. J’ai cherché dans les grands textes de la littérature, dans les films ou la chanson populaire, les passages où on parlait du taxi et pour ne citer qu’un exemple dans le roman de Gustave Flaubert, Madame Bovary a eu une relation amoureuse dans un fiacre qui faisait le tour de la ville de Rouen.
Tout ça pour dire que le taxi est un réservoir d’histoires. Et je raconte pleins d’histoires pour montrer que cet endroit (le fiacre et par la suite la voiture) est un endroit où il se passe des choses extraordinaires.
A.S. : Merci d’être passé nous présenter votre livre que je recommande à nos lecteurs et d’avoir répondu à nos questions sur le taxi.
T.T. : Merci à Taxi News pour cet accueil chaleureux.