« Entrevue avec Ahmed Senbel »
Alexandre Sejdinov : Bonjour, Ahmed, en tant que président de la FNTI, fédération nationale de taxis indépendants, quoi de neuf ?
Ahmed Senbel : nous sommes toujours attentifs à ce que la loi d’orientation des mobilités ne soit pas préjudiciable à notre profession. Un travail énorme a déjà été accompli par l’UNIT, présidée par Nicolas Rousselet, notre fédération la FNTI, la FNAT et l’UNT présidée par Rachid Boudjema.
À l’origine le texte de loi prévoyait de permettre aux VTC de circuler sur les voies réservées aux bus et taxis ainsi que des stations sur la voie publique à l’instar des taxis. Ces deux dispositions ont été supprimées du projet de loi grâce à nos efforts de persuasion. Un autre danger écarté a été l’article 14 qui permettait à n’importe qui d’exercer en tant que taxi en zone rurale (taxi amateur), mais zone rurale ça aurait pu être la ville de Roissy, ou d’Orly.
Un autre article, l’article 20, qui avait été écarté par le Sénat, mais réintroduit par le gouvernement enlève la possibilité aux VTC d’attaquer les plateformes. C’est visiblement le lobby des plateformes qui a réussi à l’imposer.
La commission paritaire composée de 7 sénateurs et de 7 députés devra examiner à nouveau cet article.
Un autre article qui est très important est l’article 9 qui oblige chaque chauffeur à être affilié à l’application le point taxi.
Toi-même, Alexandre, ancien artisan taxi et ancien Club Affaire à la G7, lorsque tu ne prenais pas une course c’est parce que tu avais des raisons, mais là dans l’article 9 le gouvernement avait l’intention d’obliger les chauffeurs à accepter les courses sans compteur d’approche et sans aucune indemnité si le client n’est pas présent à l’adresse indiquée. Avec une perte sèche pour le taxi qui se déplace pour rien.
Alex : Contrairement à ce qui est le cas avec la G7 qui garanti au chauffeur une solution.
Ahmed Senbel : Exactement, et c’est bien que tu le précises, parce que certains collègues croyaient que je défendais les intérêts de la G7 alors que je ne défends que l’intérêt de la profession. Si demain le gouvernement met en place le point taxi avec une garantie d’indemniser le chauffeur de taxi qui ne charge pas, je signe des deux mains, mais ce n’est pas le cas.
Imagine que tu es à la défense et le point taxi te donne une course, tu quittes la station t’attends vingt minutes, le client ne vient pas, que fais-tu ?
Alex : Je reviens à la station de la défense.
Ahmed Senbel : oui et t’auras perdu ta place et une heure de travail.
Alex : effectivement, ce n’est pas une bonne affaire pour le taxi.
Le Point Taxi, une application qui met en danger notre profession ?
Ahmed Senbel : Je tiens à remercier Rachid Boudjema avec lequel je travaille main dans la main et les autres qui m’ont soutenu dans ma position et mes arguments et ont compris le danger de cette application le point taxi pour notre profession.
Alex : La G7 dispose d’opérateurs qui appellent le client lorsque celui-ci n’est pas au point de rendez-vous, est-ce que le point taxi dispose d’opérateurs pour appeler le client ?
Ahmed : Non et c’est le flou total, ils sont en train de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.
Tous ceux qui étaient pour cette application se sont rendu compte de son caractère contraignant. C’est pourquoi nous avons obtenu le principe de pouvoir refuser la course. Mais réellement, qui aujourd’hui refuse de faire plus de courses que ce qu’il fait habituellement. Personne ! Mais nous souhaitons éviter que le contraire ne se produise, car trois non-charges dans une journée peuvent ruiner toute la journée de travail d’un taxi.
Alex : Est-ce que cette application le point taxi a fait ses preuves.
Ahmed : Non, cette application on ne la connaît pas.
Alex : Il faut éviter que ce ne soit comme le fiasco qu’a été l’application Paris taxi qui a couté une fortune et qui a été abandonnée. Mais toi Ahmed tu n’es pas opposé à ce qu’une application concurrente de la G7 existe ?
Ahmed : Pas du tout, je souhaite une application en parallèle de celle de la G7. Soyons pragmatiques, sur les 20 000 taxis parisiens, la moitié est affiliée à la G7, l’autre moitié a bien le droit d’avoir des applications autres. Et pourquoi pas le point taxi ? Nicolas Rousselet me l’a dit : « Ahmed je souhaite que le gouvernement investisse dix millions d’euros pour faire de l’application le point taxi un outil performant pour les autres 10 000 taxis. »
Alex : Effectivement, ce n’est pas aux taxis qui ont déjà assez souffert d’essuyer les plâtres d’une application qui n’est pas encore bien définie et qui ne prévoit rien en cas de non-charge.
Ahmed : C’est pourquoi avant de soutenir une application il faut avoir la garantie qu’elle est bénéfique aux chauffeurs. L’UNIT est une fédération importante du paysage du taxi. Le niveau dans le taxi a été relevé grâce à la G7 qui a fait comprendre à ses affiliés chauffeurs que pour gagner la bataille du transport face aux VTC, il fallait offrir un meilleur service qu’eux pour un prix identique. Et les résultats sont visibles, en avril, mai et juin la G7 n’arrivait pas à servir toutes les demandes des clients qui sont revenus en masse. Pourquoi ? Parce que la qualité de service les a fait revenir à la G7.
Le rôle de la Fédération Nationale des Taxis Indépendants auprès des députés
Alex : quel est votre rôle auprès des députés qui travaillent sur la loi des mobilités ?
Ahmed : Nous devons expliquer aux députés et sénateurs ce qu’est le métier de taxi, car beaucoup ne savent pas qu’il faut travailler 13 h par jour et 7 sur 7 pour sortir un SMIC amélioré. Nous devons aussi leur faire comprendre qu’il ne fallait pas sacrifier 70 000 emplois de taxis pour des jobs qui ne sont pas viables, il y a beaucoup de turnovers dans le VTC où les gens ne restent pas plus de six mois.
Alex : il y a en a qui viennent dans le taxi et je crois que l’avenir du taxi c’est ces jeunes qui ont goûté au VTC et qui préfèrent le taxi.
Ahmed : Effectivement, je crois comme toi que l’avenir du taxi c’est les VTC, car il y en a beaucoup qui viennent dans le taxi. Tu le dis en rigolant, mais je partage avec toi cette idée, parce que les VTC se sont rendu compte que c’est pas un métier ni une carrière, mais un petit boulot sans avenir. On parle beaucoup de la licence de taxi, heureusement qu’elle existe parce qu’elle confère un statut de chef d’entreprise à l’instar d’un chef d’entreprise qui possède un bar et la licence IV pour pouvoir vendre de l’alcool.
Alex : La licence permet d’emprunter les voies de bus et de charger sur la voie publique, privilège lié à la licence et que les VTC voulaient obtenir sans succès.
Ahmed : Effectivement, même Macron l’a dit publiquement, qu’il n’est pas possible d’avoir la liberté des VTC et les avantages des taxis sans les inconvénients. Le taxi est un service public avec des tarifs réglementés.
Voilà nous allons aider les députés à comprendre notre profession et si nous ne sommes pas entendus nous saisirons le Conseil d’Etat.
Alex : J’imagine que s’il y a un danger il y aura des manifestations.
De l’importance de rejoindre un syndicat de taxis
Ahmed : Bien évidemment, mais je crois qu’il faut éviter les manifestations. Car le monde a changé, le transport a changé, il faut réfléchir à des actions alternatives et n’utiliser le blocage de la circulation que comme un ultime recours. Et là aussi, il ne faut pas se louper. Parce que manifester avec 10 % des taxis ce n’est pas crédible.
J’appelle tous mes collègues à choisir un syndicat, quel qu’il soit et de se syndiquer pour donner son opinion lorsque la profession est en danger. Nous à la FNTI nous demandons à nos syndiqués de se prononcer. On leur dit voilà la situation, qu’est-ce que vous comptez faire ? Si demain les 66 000 entreprises de taxi étaient syndiquées et si toutes étaient solidaires, nous aurions les cartes en main pour discuter avec n’importe quel gouvernement d’égal à égal. Qu’on arrête de dire c’est la faute des syndicats, ce n’est pas vrai. C’est la faute de l’égoïsme et de l’individualisme, c’est toujours la faute de l’autre.
Lorsque nous discutons avec la ministre des Transports, elle nous dit que nous ne parlons qu’au nom des 8 % des taxis syndiqués, parce que la représentation syndicale du taxi se situe entre 5 et 8 %. Et les autres 92 % qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont donné leurs voix au gouvernement. Mais si ces 92 % étaient syndiqués, la ministre n’oserait jamais nous tenir un tel discours. Un exemple parlant, nous avons reçu le rapport de l’IGAS jeudi et une convocation au ministère lundi, nous n’avions que quatre jours pour nous prononcer sur un texte de plus de 400 pages, n’est-ce pas un manque de considération ? Si nous avions une représentativité puissante, je doute fort que le gouvernement aurait osé agir de la sorte.
Alex : Même la moitié suffirait.
Ahmed : Oui même la moitié, si nous sommes 30 000, nous serions reçus sur un tapis rouge. Mais aujourd’hui nous sommes obligés de faire la courbette pour dire nous rentrons dans le dialogue, nous voulons éviter le conflit.
Alex : dernier sujet, le Conseil d’Etat a demandé au gouvernement de modifier la tenue des examens des VTC avant le 1er janvier 2020.
Ahmed : Effectivement, une fédération de plateformes de VTC a saisi le Conseil d’État et contrairement à ce que j’entends ici et là, ce n’est pas la faute de la ministre. Il faut arrêter de dire n’importe quoi. C’est le lobby des plateformes qui veut de la chair fraiche et qui a saisi le Conseil d’Etat.
L’arrêté de l’examen du 6 avril 2017 a été cassé, mais le fond reste le même. Ce qui sera modifié c’est les examinateurs qui ne seront ni taxis ni VTC, pour une question d’impartialité.
Alex : Cher Ahmed, merci d’être venu nous informer des discussions que vous avez avec les députés et le ministère des Transports.
Ahmed : Merci à l’équipe de Taxi News de m’avoir écouté.